Là, autour d'un Roosevelt que la maladie rend fantomatique, les Américains, dont les grands-pères étaient marchands de bestiaux ou corsaires, se découvrent le peuple le plus puissant du globe. Hommes d'affaires autant qu'évangélisateurs, un peu gênés et gauches comme des débutants, ces Américains, ces presbytériens milliardaires sont assez fiers de pouvoir serrer tous les matins la main de ces matérialistes historiques qu'on leur avait toujours dépeints avec le couteau entre les dents et qu'ils découvrent d'une « inimaginable courtoisie ».
Car Yalta marque d'abord une fantastique frontière entre deux époques, désormais séparées comme deux univers: Yalta sanctionne la fin de la domination des nations de l'Europe occidentale.
En dépit de l'illusion que fait Churchill, avec sa mâchoire de dogue où peut briller un sourire de chérubin, ses colères seigneuriales et ce cigare de légende, c'est toute une époque d'histoire qui s'anéantit ici, celle qui commença par les grandes heures d'Athènes et de Rome et se consacra autour de Christophe Colomb,
Louis XIV, Bismarck et la reine Victoria.
Churchill n'est déjà ici que « le moins petit des petits ». Malgré sa formidable présence et le lustre immense qu'il réussit encore à donner à sa patrie épuisée, il ne réussit pas à dissimuler l'événement l’essentiel de ce jour-là : le début de l'ère des géants. Les maîtres de l'univers ont désormais un nouveau visage, avec un nouveau style.